Le Caire, Hassan, Rambo : une quête de survie et d’humanité !

Tourné au cœur du Caire, le film capte avec justesse l’âme de la ville. Le choix de filmer dans ses rues animées, chaotiques et authentiques apporte une dimension immersive rare, rendant l’environnement presque aussi important que les personnages. Cette immersion visuelle et sonore donne au récit une texture profondément organique, presque documentaire, où la ville devient le théâtre vivant des émotions intérieures de Hassan.

Chercher une issue pour M. Rambo s’inspire d’un fait réel, ce qui confère au récit une dimension encore plus poignante. Le chien Rambo, élément central du film, est interprété par deux chiens identiques, repérés dans la rue puis dressés spécialement pour ce rôle – une démarche qui rappelle la radicalité de certains cinéastes néoréalistes, et qui apporte une authenticité bouleversante à l’écran. Le réalisateur, qui portait depuis longtemps l’idée d’un court-métrage sur l’amitié entre un homme et un chien, a finalement transformé cette intuition en un long-métrage ambitieux et nuancé.

Ce lien entre l’homme et l’animal fait écho à des œuvres comme Dogman de Matteo Garrone ou Amour Chienne d’Alejandro González Iñárritu, où le chien devient le miroir de l’humanité – ou de sa perte. Dans Chercher une issue pour M. Rambo, Rambo n’est pas un simple compagnon : il incarne la tendresse, la fidélité et la possibilité d’un amour sans jugement dans un monde où les repères affectifs s’effondrent. Il devient une métaphore du dernier bastion de l’innocence et de l’amour pur dans un monde de plus en plus cynique.

Le film met également en lumière les relations familiales et sociales de Hassan, qui révèlent les racines de ses dilemmes et de son sentiment d'isolement. Sa mère, profondément attachée à la maison familiale, refuse de quitter les lieux, bien que celle-ci soit en ruine. Elle incarne une résistance obstinée à l'injustice de son voisin Karem, le fils du propriétaire, qui souhaite les expulser à tout prix. Cette lutte entre les générations, entre l'attachement à un passé révolu et l'irréversibilité du changement, est essentielle pour comprendre le personnage de Hassan.

La figure absente du père, parti un jour sans retour, hante le récit. Hassan conserve une cassette vocale, souvenir de l’un de leurs rares échanges, où la voix du père se mêle à une chanson de Mohamed Mounir – vestige d’une époque révolue. Depuis ses 11 ans, Hassan semble figé dans cette absence, dans ce silence paternel qui le définit autant qu’il le détruit.

Les personnages secondaires – l’oncle distant, le collègue opportuniste, le patron douteux – dessinent le contour d’un monde où les liens sont déliés, et où chacun semble fuir la douleur des autres. Seule son ex-fiancée tente de rester présente, mais même sa bienveillance ne suffit pas à combler le vide affectif de Hassan.

La symbolique de la veste de sécurité de Hassan – dont les lettres S et R se sont effacées – est particulièrement forte. Tout comme les repères dans sa vie, cette veste devient un vêtement vide de sens, un uniforme sans fonction, reflétant son désengagement progressif du monde qui l’entoure. Travaillant dans une association d’architectes dans un quartier huppé, Hassan observe ce monde bourgeois avec une distance douloureuse, presque irréconciliable.

Comme dans Taxi Driver ou Raging Bull de Scorcesse, Hassan s’inscrit dans une tradition de personnages désabusés, englués dans leurs propres failles et confrontés à une société qu’ils ne comprennent plus. Ce réalisme psychologique, teinté d’un désespoir presque métaphysique, donne au film une intensité rare.

La tension monte progressivement, portée par une mise en scène sobre mais précise, qui fait le choix de l’intime plutôt que du spectaculaire. Les rues du Caire deviennent un labyrinthe oppressant, les sons un écho constant de menace, et chaque silence devient chargé d’une tension presque insoutenable. Cette atmosphère évoque autant David Fincher que John Hillcoat dans The Road, où la survie devient autant intérieure qu’extérieure.

Le choix de centrer le récit exclusivement sur Hassan rend le film extrêmement cohérent, mais aussi risqué. Cette structure très resserrée, presque cloîtrée, aurait pu mieux fonctionner sous la forme d’un court-métrage. À mesure que le récit avance, cette focalisation unique peut devenir redondante. Toutefois, elle permet aussi une plongée rare dans la psyché d’un personnage, rendant chaque geste, chaque regard, profondément signifiant.

La performance de l’acteur principal est d’une grande justesse, tout en retenue, rendant son personnage à la fois vulnérable et opaque. Mais c’est peut-être Rambo qui capte le cœur du spectateur, à l’image de Uggie dans The Artist. Sans artifice, le chien devient le véritable contrepoids émotionnel du film – une présence silencieuse mais fondamentale, un catalyseur d’empathie.

Chercher une issue pour M. Rambo est une œuvre singulière, à la fois poétique et tendue, qui interroge notre rapport aux autres, à la peur et à la loyauté. Un film qui, tout en prenant racine dans un fait divers, parvient à tisser une réflexion sur la solitude contemporaine et la nécessité de l’amour inconditionnel. Un film à ne pas manquer, pour tous ceux qui croient encore que la fiction peut révéler des vérités que le réel tait.