Goha
1958

Goha

Goha, un jeune homme naïf et rêveur, mène une existence simple rythmée par les traditions et les bavardages du souk. Un jour, il accueille chez lui un grand savant et sa jeune épouse. Fasciné par l’intelligence de l’un et la beauté de l’autre, Goha voit sa vie bouleversée. Entre apprentissage, humiliation et premiers émois amoureux, il va peu à peu s’éveiller à la complexité du monde adulte, dans un univers où l’absurde côtoie la poésie. Mais son innocence suffira-t-elle à triompher des jeux de pouvoir et des désirs interdits ?

Une contre-vérité du conscient

Premier long métrage réalisé en Tunisie après l’indépendance, Goha de Jacques Baratier est un film à la croisée des chemins : entre fable orientale et satire sociale, entre cinéma folklorique et poésie surréaliste. Couronné au Festival de Cannes en 1958, ce film atypique est à la fois naissance d’un cinéma national et témoignage ambigu sur l’imaginaire oriental façonné par un regard étranger. À travers le personnage fantasque de Goha, Baratier interroge avec une légèreté faussement naïve les normes, les désirs et les illusions d’une société en mutation.

© Goha (1958)

 

Dès la première scène, Goha apparaît à l’écran une orange en main : fruit solaire, symbole méditerranéen du plaisir et du luxe, chanté par Flaubert, Stendhal ou Goethe. Ce geste – offrir une orange – dit déjà tout : nous sommes invités à un voyage. Un voyage en terre inconnue, mais aussi une traversée mentale, teintée d’innocence, de sensualité et d’ironie.

Le décor est tunisien, sans doute, mais en creux d’une réalité. Car si Goha est bel et bien tourné en Tunisie – à Hammamet, Tunis, Djerba, Kairouan... – il montre une Tunisie réinventée, suspendue dans un imaginaire proche des Mille et Une Nuits. En 1956, fraîchement indépendant, le pays commence à se doter d’une industrie cinématographique, et Baratier y trouve le terreau pour réaliser ce film hybride, soutenu notamment par Béchir Ben Yahmed, tout juste nommé au nouveau secrétariat d'État à l’Information.

© Goha (1958)

Mais cette image idéalisée ne fait pas l’unanimité. Dès sa sortie, le film divise. Dans Nawadi Cinéma (janvier 1959), M. Tahar Cheriaa rapporte les critiques d’un article publié dans Al Amal, qui accuse le film d’ignorer la réalité tunisienne de 1958. Trop de souks, de djebbas, de cours religieuses, de mariages inégaux, pas assez de modernité. Goha, dit-on, offre au monde une vision figée et folklorisée. À cela, le critique répond par une pirouette ironique : faut-il vraiment que le cinéma soit un miroir fidèle ? Ou peut-il être aussi une fable, une vision, une rêverie critique ?

Car au-delà des débats identitaires, Goha est une poésie maladroite, certes, mais attachante. Une galerie de figures mythiques y défilent : Omar Sharif, jeune premier au charme doux-amer ; Zina Bouzaiane, danseuse des nuits ramadanesques ; Claudia Cardinale, encore inconnue, dans sa toute première apparition à l’écran ; et Mohamed Jamoussi, maître de la musique populaire.

© Goha (1958)

Le tournage fut lui-même une aventure : deux versions filmées, en arabe et en français, parfois avec des comédiens ne maîtrisant qu’une seule langue ; des doublages faits en post-synchronisation ; des choix imposés par les autorités locales – notamment le remplacement de Jacqueline Sassard par une actrice tunisienne non professionnelle, pour incarner Fulla, la fiancée de Goha.

Dans cette fiction flottante, entre sagesse populaire et douce folie, Jacques Baratier semble vouloir capturer cette « vérité de l’inconscient » qu’il dit tant aimer, chez les êtres « naturels », les rêveurs et même les malades mentaux. Goha incarne cette figure ambiguë : mi-enfant, mi-fou, mi-sage – il se tient en marge, observateur involontaire d’un monde trop ordonné pour lui.

Goha est un film-frontière : entre tradition et invention, entre Orient rêvé et réel réinterprété. Il ne documente pas tant une Tunisie moderne qu’il n’invente un théâtre poétique, habité de figures à la fois naïves et subversives. Premier jalon du cinéma post-indépendance tunisien, il ouvre un cycle – celui d’un cinéma qui cherche encore sa langue, entre langues multiples, influences croisées, et désir de narration libre. À travers Goha, Baratier ne filme pas la Tunisie : il rêve avec elle, et peut-être aussi contre elle.

 

Fadoua Medallel

12 Mai 2023 

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